Chimère
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En juillet 1991, j'ai rencontré Gérard Caussé, altiste, à un colloque de Psychanalyse à Aix en Provence au cours duquel je faisais une conférence sur l'écriture de mon opéra Le Précepteur.
A l'issue de cette conférence, il m'a demandé de lui écrire une œuvre. J'ai aussitôt accepté avec enthousiasme, et nous avons divagué un moment sur cette œuvre à venir en buvant un verre dans le début d'une nuit d'été.
Ici, tout est parti de la vision que j'avais de Gérard Caussé en train de jouer: il dégage alors une énergie envoûtante, une vitalité qu'il transmet à son instrument. Cela évoque pour moi une caricature de Paganini, que l'on voit littéralement possédé par la musique.
Connaissant la virtuosité de Gérard Caussé, je ne me suis privée de rien, d'aucune difficulté technique, d'aucune tension mélodique, car je savais qu'il mènerait son alto en grande liberté, depuis les âpres abîmes du début jusqu'aux mélismes arachnéens qui précèdent l'explosion finale.
Toute l'œuvre est contenue - ramassée - dans la première page.
Les amis interprètes qui étaient venus écouter Gérard Caussé lors de la création m'ont reproché ce début, ne comprenant pas pourquoi je noyais l'alto sous les flots tonitruants des vents et des percussions : ayant une vision académique du genre concertant, ils attendaient un soliste omniprésent et un orchestre réduit au rôle de "faire-valoir" d'arrière plan. Pour ma part, j'avais obtenu l'effet recherché, et lorsque la voix de l'alto s'élève, émergeant de cette tornade, on est d'autant plus séduit par la musique qu'elle exprime.
L'œuvre est faite de 7 séquences enchaînées les unes aux autres, dont les matériaux se développent en quinconces, avec des retours, des parenthèses, des allusions au passé ou à l'avenir.
Ensuite, il ne s'agit que de développements.
C'est l'unique qui donne naissance au multiple, en des proliférations ininterrompues.
C'est la chimère du mythe, être pluriel en un seul corps, terrifiant par sa multiplicité, mais fascinant de par cette complexité même.