En la Noche dichosa
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Extraits d'un entretien avec Benedicte Boringe
L'objet de la commande était d'accompagner une exposition de douze tapisseries de Manessier, inspirées par des poèmes de Saint-Jean de la Croix. L'idée m'a plu car j'aime l'œuvre de Manessier et je trouvais intéressant de composer une musique qui serait le miroir sonore de sa création picturale.
Manessier avait utilisé la traduction française que le Père Cyprien de la Nativité de la Vierge avait faite en 1641. J'ai préféré mettre en musique le texte original, en espagnol.
Je n'ai pas cherché de correspondance avec les tapisseries de Manessier: notre source d'inspiration - douze poèmes de Saint-Jean de la Croix - étant la même, c'est sur ce plan que se fait la rencontre entre nos œuvres: correspondance plus subtile, dans une communion d'idées et une intelligence du texte.
Je n'ai pas non plus été tentée par un folklore hispanisant. En revanche, lorsque j'écrivais l'œuvre, je suis allée plusieurs fois au Louvre regarder la peinture espagnole, en particulier Zurbaran, chez lequel je sentais une grande similitude spirituelle avec les textes que j'étais en train de mettre en musique.
A propos de la religion, on m'a posé la question lorsque j'ai composé la Messe pour la Paix.
Je ne suis pas croyante. Je ne suis plus croyante. J'ai été élevée dans la religion catholique, j'ai été très pratiquante jusqu'à l'âge de 17 ans. Cependant j'ai gardé une affection pour cette religion dans laquelle j'ai grandi, j'aime aller à la messe de temps en temps, j'aime l'ambiance des églises. C'est une nostalgie de l'enfance...
Ce que j'admire, chez l'être humain, c'est l'exigence spirituelle. On la trouve, précisément, dans les textes de Saint-Jean de la Croix.
Ses poèmes sont portés par le souffle d'un énorme amour, un amour-passion. Ils évoquent la recherche d'une rédemption par l'amour - et j'ajouterai, quel que soit cet amour : l'amour pour un enfant, l'amour pour un Dieu, l'amour pour ses semblables. Ces textes n'ont pas vieilli parce que, essentiels dans ce qu'ils expriment, ils rendent compte de l'humain.
La formation - chœur a cappella de huit voix - s'est imposée à moi à la lecture des poèmes.
J'avais envie d'une musique dépouillée. J'ai pensé à Palestrina.
Je travaille beaucoup. J'ai l'impression d'être comme un sculpteur devant une pierre qu'il va peu à peu dégrossir, pour se rapprocher de plus en plus d'un objet final.
Je pensais adopter une forme "en arche" rigoureuse. Au fur et à mesure que j'avançais dans l'écriture, une forme plus souple s'est imposée, établissant entre les différents morceaux des relations moins rigides que dans la symétrie parfaite que j'avais imaginée au premier abord. Ainsi, comme toujours lorsque je compose à partir d'un texte, une forme purement musicale s'est construite, indépendamment du texte.
Il y a beaucoup de passerelles, mais le texte ne commande pas tout. Pour que l'œuvre tienne le coup dans l'espace-temps, il faut qu'elle soit construite musicalement. C'est une architecture du temps.
Pour que l'œuvre ne sombre pas dans la monotonie, il faut avoir une forte conscience de l'organisation du temps musical. C'est pourquoi j'accorde tant d'importance à une "dramatisation" de l'œuvre : je conçois ma musique comme du théâtre. En cela, je pense m'inscrire dans une lignée de compositeurs où l'on croise Monteverdi, Beethoven, Berg...
Poèmes de Saint-Jean de la Croix
En la noche dichosa
En secreto, que nadie me veía,
Ni yo miraba cosa,
Si otra luz y gíuia
Sino la que el corazón ardía
La blanca palomica
El arca con el ramo se ha tornado,
Y ya la tortolica
Al socio deseado
En las riberas verdes ha hallado
A escuras, y segura,
Por la secreta escala disfrazada,
Oh dichosa ventura!
A escuras, y en celada
Estando ya mi casa sosegada
Pastores los que fuerdes
Allá por la majadas al otero
Si por ventura vierdes
Aquel que yo más quiero,
Decilde que adolezco, peno y muero
Por qué, pues has llagado
A queste corazón, no le sanaste?
Y, pues me le has robado,
Por qué así le dejaste,
Y no tomas el robo que robaste?
Oh bosques y espesuras!
Plantadas por la mano del Amado
Oh prado de verduras
De flores esmaltado!
Decid si por vosotros ha pasado.
Oh llama de amor viva!
Que tiernamente hieres
De mi alma en el más profundo centro!
Pues ya no eres esquiva,
Acaba ya, si quieres;
Rompe la tela deste dulce encuentro.
Detente, cirezo muerto;
Ven, austro, que recuerdas los amores,
Aspira por mi huerto
Y corran sus olores,
Y pacerá el Amado entre las flores.
Mas, cómo perseveras,
Oh vida! No viviendo donde vives
Y haciendo porque mueras
Las flechas que recibes
De lo que del Amado en ti concibes?
Gocémonos, Amado,
Y vámonos a ver en tu hermosura
Al monte y al collado,
Do mana el agua pura;
Entremos más adentro en la espesura.
La noche sosegada
En par de los levantes de la aurora,
La música callada,
La soledad sonora,
La cena que recrea y enamora.
Quedéme y olvidéme,
El rostro recliné sobre el Amado,
Cesó todo, y dejéme,
Dejando mi cuidado
Entre las azucenas olvidado.