Année : 1987 Durée : 12'

Texte : Aloysius Bertrand

Genre : Ensembles vocaux

Effectif : Douze voix a cappella

Détails : Commande de Radio France
Création le 27Août 1987 à La Maison de la Radio (Paris)
par les chœurs de RadioFrance direction Michel Tranchant
Enregistrement France Musique


Édition : Salabert

Télécharger cette notice

Trois Fantaisies de Gaspard de la nuit


Notice :

J'ai choisi dans l'œuvre d'Aloysius Bertrand trois poèmes me permettant d'organiser une structure musicale qui - sans trahir leur conception - échappe à la structure des textes.

1. Les cinq doigts de la main
Musicalement il s'agit d'un contrepoint à cinq parties, dans lequel j'ai superposé les différentes strophes du poème à la manière d'un motet du 14ème siècle. Des cellules isorythmiques sont attachées à chacune des parties vocales. Les rythmes sont de plus en plus rapides au fur et à mesure que les doigts sont plus petits...

2. Sur les rochers de Chèvremorte
J'ai construit cette seconde pièce comme un petit drame cocasse.
Au début, le décor est planté par les chuchotements qui se propagent à travers tout le chœur,
puis le chant, peu à peu, émerge, et laisse parler le poète... poète qui ne met pas en doute son génie!

3. La chanson du masque
Il s'agit ici d'une forme apparentée à celle du rondo, dont le refrain "Notre troupe bruyante..."
fait irruption de façon imprévisible à tout moment.
Comme dans la Commedia dell'Arte, s'y détachent quelques figures qui prennent du relief devant la masse un peu étouffée des masques.

Textes d'Aloysius Bertrand

Les cinq doigts de la main
Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, à l'enseigne de la double bière de Mars.
L'index est sa femme, virago sèche comme une merluche, qui, dès le matin, soufflette sa servante dont elle est jalouse, et caresse la bouteille dont elle est amoureuse.
Le doigt du milieu est leur fils, compagnon dégrossi à la hache, qui serait soldat s'il n'était brasseur, et qui serait cheval s'il n'était homme.
Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et agaçante Zerbine, qui vend des dentelles aux dames, et ne vend pas ses sourires aux cavaliers.
Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur qui toujours se trimbale à la ceinture de sa mère comme un petit enfant pendu au croc d'une ogresse.
Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante giroflée à cinq feuilles qui ait jamais brodé les parterres de la noble cité de Harlem.

Sur les Rochers de Chèvremorte
Ce n'est point ici qu'on respire la mousse des chênes, et les bourgeons du peuplier,
ce n'est point ici que les brises et les eaux murmurent d'amour ensemble.
Aucun baume, le matin, après la pluie, le soir, aux heures de la rosée; et rien pour charmer l'oreille que le cri du petit oiseau qui quête un brin d'herbe.
Désert qui n'entend plus la voix de Jean-Baptiste, désert que n'habitent plus ni les ermites ni les colombes!
Ainsi mon âme est une solitude où, sur le bord de l'abîme, une main à la vie et l'autre à la mort, je pousse un sanglot désolé.
Le poète est comme la giroflée qui s'attache frêle et odorante au granit, et demande moins de terre que de soleil.
Mais hélas! je n'ai plus de soleil, depuis que se sont fermés les yeux charmants qui réchauffaient mon génie!

La chanson du masque
Ce n'est point avec le froc et le chapelet, c'est avec le tambour de basque et l'habit de fou que j'entreprends, moi, la vie, ce pèlerinage à la mort!
Notre troupe bruyante est apparue sur la place Saint-Marc, de l'hôtellerie du signor Arlecchino qui nous avait tous conviés à un régal de macaronis à l'huile et de polenta à l'ail.
Marions nos mains, toi, qui, monarque éphémère, ceins la couronne de papier doré, et vous, ses grotesques sujets, qui lui formez un cortège de vos manteaux de mille pièces, de vos barbes de filasse et de vos épées de bois.
Marions nos mains pour chanter et danser une ronde, oubliés de l'inquisiteur, à la splendeur magique des girandoles de cette nuit rieuse comme le jour.
Chantons et dansons, nous qui sommes joyeux, tandis que ces mélancoliques descendent le canal sur le banc des gondoliers, et pleurent en voyant pleurer les étoiles.
Dansons et chantons, nous qui n'avons rien à perdre, et que derrière le rideau où se dessine l'ennui de leurs fronts penchés, nos patriciens jouent d'un coup de cartes palais et maîtresses.